Réparer le lien entre semences et pain: La piste d’une communauté de commun autour du Pain Libre

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Les semences en tant que bien commun peuvent-elles contribuer à rendre le pain plus savoureux et plus sain ? | 29 mars 2022 | par Adrien Labaeye

Depuis le Néolithique et l’essor de l’agriculture, le grain a été un élément central de l’alimentation humaine. Avec ce développement, le pain – sous toutes ses formes – s’est imposé comme un aliment de base au sein de nombreuses civilisations. La lente et laborieuse sélection de meilleures variétés de grain par les paysans a permis le développement de formes plus élaborées de pain. Les critères de panification ont inévitablement influencé les choix des paysans – qui produisaient souvent eux-mêmes leur pain – dans leur travail de sélection, favorisant des plantes plus faciles à moudre et donnant une pâte plus facile à façonner en miches. Historiquement, la fabrication du pain est imbriquée à la sélection et à la production des grains tels que le blé, l’épeautre ou le seigle.


Le bon pain est une grande passion d'Adrien, l'auteur de cet article.

Comment le pain et les communs de semences furent perdus: une tragédie de l’oeuf et de la poule

Pendant des milliers d’années, les semences furent échangées entre paysans comme un commun, et les variété de grains présentant de bonnes qualités nutritives et un bon comportement au champ, mais aussi de bonnes qualités de panification ont été disséminées à travers les continents. C’est seulement dans la période suivant la Seconde Guerre Mondiale que le recours systématique – et forcé – à la sélection scientifique des variétés et l’essor concomitant d’un complexe industriel de l’agro-alimentaire a transformé radicalement le grain et le pain. D’une part, les rendements ont été multipliés et l’amélioration des qualités de panification ont permis l’utilisation de procédés industriels dans la fabrication du pain avec des pâtes capables d’endurer des pétrissages mécaniques intenses, en particulier grâce à une sélection des variétés maximisant les taux de gluten. Alors que l’offre de farines propices à la boulangerie a explosé, la valeur nutritionelle du pain devenu produit industriel – blanc, très aéré, et bourré d’additifs non déclarés – s’est effondrée. Et, plus récemment, un phénomène nouveau d’intolérance au gluten est en passe de devenir endémique.

Du côté des semences, avec l’imbrication de la boulangerie et de la sélection du grain, la concentration industrielle croissante dans la fabrication du pain est indissociable de la concentration sur le marché des semences. Aujourd’hui, c’est une effarante part de marché de plus de 60 % du commerce international de semences que se partagent seulement trois entreprises multinationales. Cette situation d’oligopole accélère une chute historique de la biodiversité dans les cultures et résulte en un système alimentaire global dans lequel la souveraineté de nos moyens de production – quid de la propriété des semences ? – est en jeu. Et, comme si cela n’était pas suffisant, la perte de biodiversité met à mal les efforts d’adaptation au changement climatique en minant la résilience des cultures.

 

La mise en place d’une communauté de commun au service d’un re-couplage du pain et du grain

Chez OpenSourceSeeds nous croyons qu’afin d’assurer la résilience de nos systèmes alimentaires les semences doivent redevenir des communs : des ressources partagées et gérées par des communautés d’usagers. Prenant acte de l’imbrication des destins des semences et du pain nous avons mis sur pied le projet Pain Libre (Open-Source Bread). Depuis son lancement en Novembre 2019 à Berlin, un petit groupe de boulangers a mis sur le marché un pain dit  « libre ou open-source » – le Pain Libre – car confectionné avec la farine d’un blé mis en circulation et protégé comme commun grâce à la licence Semence Libre. Le projet s’organise autour d’une communauté de parties prenantes tout au long de la chaîne de valeur allant de la semence « libre » au pain « libre » avec l’objectif de préserver la semence comme un commun. Ainsi, sélectionneur, paysans, minotier, boulangers et consommateurs prenant part à l’opération « Pain libre » deviennent parties prenantes d’une communauté qui fait le commun. Bien qu’à un stade précoce, le développement de telles communautés de commun offre un axe de réflexion fertile afin de repenser la manière dont nos semences sont sélectionnées, et comment ce processus pourrait être financé. 


 Les boulangeries du projet "Un pain pour des semences libres" utilisent jusqu'à présent le blé open-source Convento C

Explorer de nouvelles pistes de financement : le financement participatif d’une nouvelle variété de seigle « libre »

En 2022, OpenSourceSeeds lancera une campagne de financement participatif visant à financer la mise en accès sous licence Semence Libre d’une nouvelle variété de seigle. Le financement visé sera versé au sélectionneur de cette nouvelle variété, générant une nouvelle source de financement et une alternative utile au revenu souvent trop limité que les sélectionneurs peuvent tirer d’un certificat d’obtention végétale, l’option conventionnelle de monétisation de leur travail de sélection.

Le choix d’une variété de seigle vient répondre à la demande récurrente des boulangers d’une alternative « libre » pour un grain particulièrement apprécié autant par les artisans que par les consommateurs en Allemagne et au-delà. Le succès d’une campagne de financement participatif renforcerait un peu plus la communauté d’acteurs économiques qui se sont rejoints autour de la production d’un « Pain Libre » et inciterait, d’une part, d’autres boulangers et consommateurs à se joindre à l’initiative et, d’autre part, d’autres agriculteurs. En effet le seigle peut être cultivé sur des sols qui ne se prêtent pas à la culture du blé.

Après une période où la longue et fertile histoire d’amour entre grain et pain tourna à la relation toxique, minée par l’irruption du complexe agro-alimentaire, le re-couplage à plus petite échelle de la boulangerie avec la sélection du grain grâce à la mise en place de communautés de commun offre une piste alternative prometteuse.

 
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